LES ÉLÈVES DES ACADÉMIES D'ÉQUITATION



© Alain Fabre, 2000-

 

Dernière mise à jour: 28/5/2002

 

Étant donné l'omniprésence du cheval comme moyen de locomotion, monter à cheval était si courant que la mise en selle devait être absolument superflue, sauf cas rarissimes. Tel Pluvinel enseignant les rudiments de l'équitation au jeune Louis XIII. Peut-être en était-il de même dans le cas de quelques gentilhommes citadins dont les fils étaient confiés dès le départ à un écuyer de renom.

Dans la majorité des cas, il semble plutôt que les jeunes nobles désirant étudier dans une Académie d'équitation auprès d'un maître écuyer avaient déjà acquis des connaissances empiriques de cet art. Ainsi, le chevalier de Ravanne nous raconte dans ses mémoires (Ravanne 1782), qu' âgé d'une douzaine d'années seulement, étant amoureux de sa cousine qu'on avait enfermé dans un couvent, il n'hésita pas à s'échapper pour aller la rejoindre par un périple de quelques 200 ou 300 kilomètres à travers une campagne qu'il ne connaissait pas. Pour ce faire, il acheta un cheval à un paysan, et parvint à son but, ce qui prouve bien qu'en plus de savoir monter à cheval, il était aussi capable de soigner, nourrir et ménager sa monture durant toute la durée du périple. Même si le paysan le suivit jusqu'à sa destination, notre petit chevalier voulut le congédier mais ne le garda que parce qu'il pensait pouvoir avoir besoin de lui pour l'enlèvement de sa cousine. Quelques années plus tard, le chevalier de Ravanne devait se rendre à Paris afin d'y suivre les cours de La Guérinière.

À peu près à la même époque que le chevalier de Ravanne, en 1714, le jeune Carl Gustav Tessin (1695-1770) commence son tour d'Europe par Paris, sur la décision de son père, le célèbre architecte suédois Nicodemus Tessin le Jeune (1654-1728). Les préparatifs du voyage ont été soigneusement établis, ainsi que les sujets d'étude, qui doivent d'une part comprendre des connaissances générales sur l'histoire et la géographie des nations, les études de langues, de danse, d'équitation et de sport, et d'autre part la décoration et l'architecture, étudesqu'il poursuivra en Italie. Carl Gustav est accompagné de son gouverneur et d'un jeune noble, dont les talents artistiques et les bons conseils seront mis à sa disposition. Last but not least, le jeune Carl Gustav être présenté à la Cour. Son père précise cependant que, n'étant pas destiné à la carrière des armes, les exercices physiques ne doivent avoir pour le fils qu'une importance secondaire. C'est pourquoi, sans doute, la biographie de Carl Gustav Tessin dont je me suis servi (Holst 1936), n'en fait que quelques brèves mentions. Notons encore ici qu'en ce qui concerne l'équitation, Carl Gustav n'était pas, lui non plus, tout à fait novice, ayant déjà suivi des leçons auprès de l'ancien écuyer de Charles XII. Tessin nous décrit ainsi cet éducateur original : « Gustaf Hård, chambellan et écuyer, était un petit homme d'une obésité inouïe, rougeaud, au large visage et aux yeux exhorbités, coiffé d'une perruque espagnole blanche comme neige, qui avait été, en son temps, un écuyer de renom. Il avait autrefois été envoyé par le roi en Espagne pour y faire l'acquisition de chevaux [...] C'était un grand buveur et il usait d'un langage extrêment cru. En 1705, il était à moitié fou et c'est au prix de ma vie que je fus son élève aux écuries royales: ayant fermé derrière nous la porte du manège à double tour, lui la chambrière à la main et moi tentant de rester sur le dos de ma monture, il m'apprit comme personne d'autre à me tenir en selle » (Holst 1936: 13 [ma traduction de l'original en suédois]). Durant son premier séjour à Paris, nous savons que Carl Gustav Tessin résida à proximité du Luxembourg, ce qui signifie toujours à l'époque au nord du Palais du Luxembourg, quelque part entre la rue (des-Fossés-)Monsieur-le-Prince, la rue de Condé et la rue de Tournon, c'est à dire dans le voisinage immédiat des deux manèges successifs de La Guérinière dans ce quartier . Le Centre culturel suédois de Paris, qui porte justement le nom de Tessin, fut installé durant les années 1960 au numéro 6 de la rue de Tournon,dans les locaux de l'Hôtel Brancas/ Terrat, qui se trouve avoir été pendant une dizaine d'année, entre 1730/33 -1743, l'emplacement de la seconde Académie d'équitation de La Guérinière, avant sa nomination au manège des Tuileries. Tessin reviendra plus tard à Paris, entre 1739 et 1742, en qualité d'ambassadeur extraordinaire, pour y mener parallèlement deux activités inséparables de sa personnalité: l'une d'homme politique et l'autre de grand connaisseur de l'Art. Il habitera successivement rue Saint-Honoré, qu'il quittera bientôt pour revenir dans le faubourg Saint-Germain, d'abord rue Jacob, puis quai des Théatins (aujourd'hui quai Voltaire). Nous retrouvons Tessin une fois de plus à proximité immédiate d'une célèbre Académie d'équitation, celle de Dugast (12, rue de l'Université, communiquant vers le nord avec les numéros13-15, rue de Verneuil).

Il ne faut pas oublier non plus que les Académies ne se contentaient pas d'enseigner l'équitation, mais que leurs programmes comprenaient également des disciplines comme les mathématiques, la musique ou l'escrime, ce qui accentue encore le flou de la définition du mot même d'Académie (d'équitation). Étant donné le déclin, le discrédit et le faible niveau de l'Université de Paris, qui s'enlisait dans d'obscures débats scolastiques et religieux, les Académies d'équitation, souvent en tant que complément des collèges, s'avéraient un foyer dynamique de divulgation de divulgation des connaissances.

Les élèves des Académies étaient soit internes soit externes. Nemeitz (1727) nous apprend que le tarif est, pour le premier mois, de 100 francs, puis, par mois supplémentaire, 50 francs. Il ne précise malheureusement pas combien de séances ce tarif comprenait. Il ajoute d'ailleurs que de nombreuses dépenses supplémentaires sont à prévoir, lorsque par exemple le maître de manège souhaite donner un carrousel, dont les frais incombent apparemment aux élèves: « Monsr. de Vandeuil donna deux caroussels publics en mon tems: mais la bourse de ses écoliers en a été bien rongée » ( op. cit., p. 76). Nemeitz ajoute d'ailleurs que, de tous les exercices auxquels on peut s'adonner à Paris, le manège est le plus « précieux » (cher) de tous. Les tarifs en vigueur s'appliquaient aux quatre Académies du faubourg Saint-Germain, celles de MM. Lomprés (Longpré), du Gast (du Gard, Dugast), Vandeuil (Vendeuil) et La Guérinière. Pour se faire une idée de ce tarif, nous pouvons le comparer à la location d'un valet pour une journée entière, qui revient à un franc (25 sols). Ou au prix d'un carrosse neuf (800 à 900 francs), qui équivalait au prix de deux chevaux « médiocrement bons » ( 'médiocre' signifiait à l'époque 'moyen', étant dépourvu du sens péjoratif actuel).

Christian (1907: 59), quant à lui, nous renseigne sur le régime d'externat et d'internat, au sujet desquels il écrit « Internes comme externes, au nombre desquels se trouvaient toujours bon nombre d'étrangers, puis des officiers détachés temporairement de leur régiment pour suivre un cours d'équitation, prenaient place à la table du directeur. Les internes avaient la faculté de loger auprès d'eux, soit un gouverneur, à la fois précepteur & secrétaire, soit des valets pour leur service personnel ».

Les élèves les plus insignes de La Guérinière ont été représentés dans le premier tome de l'édition in-folio de 1733. Il s'agit de:

LE COMTE DE SAINT-AIGNAN ET LE DUC DE BEAUVILLIERS. Le grand-père de ces deux futurs élèves de La Guérinière, François Honorat de Beauvilliers, duc de Saint-Aignan (1607-1687), membre de l'Académie française depuis 1663, dirigeait les fêtes de la cour sous Louis XIV. Un portrait anonyme de lui appartient aux collections du Musée national du château de Versailles et des Trianons. Il était originaire des terres de Beauvilliers (Eure-et-Loir), situées à 23 kilomètres de Chartres et 52 kilomètres d'Orléans (d'autres sources le font naître à Paris). Quant à leur père, Paul de Beauvilliers, comte (duc à partir de 1679) de Saint-Aignan (1648-1714) (qu'il ne faut pas confondre avec son frère, Paul-Hippolyte de Beauvilliers, duc de Saint-Aignan, 1684-1776, membre de l'Académie française à partir de 1727, dont le Musée national du château de Versailles et des Trianons possède un tableau anonyme, d'après Van Loo), celui-ci habitait, en 1675, un hôtel construit en 1640 aux 21-23 du Quai Malaquais (et 1-3 rue des Saints-Pères). Il déménagea, en 1680, pour s'installer dans un autre hôtel des 71-73 rue du Temple, bâti en 1640 par Le Muet. En 1685, Paul de Beauvilliers fut nommé président du conseil des finances. Deux ans plus tard, il se rendit propriétaire de l'hôtel dont il n'avait été jusqu'ici que locataire. Paul de Beauvilliers fut nommé, en 1689, précepteur du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, grâce à son grand ami Fénelon, gouverneur du duc de Bourgogne, qui le proposa pour ce poste. Le petit Louis, futur père de Louis XV, n´etait pas d'un caractère facile. Saint-Simon (III: 32) nous le décrit comme « avec un naturel à faire trembler. Il était fougueux jusqu'à vouloir briser ses pendules lorsqu'elles sonnaient l'heure qui l'appelait à ce qu'il ne voulait pas, et jusqu´à s'emporter de la plus étrange manière contre la pluie quand elle s'opposait à ce qu'il voulait faire ». Paul de Beauvilliers répéta ce même travail avec les deux autres petits-fils de Louis XIV, d'abord, en 1690, pour le duc Philippe d'Anjou (1683-1746), qui occupera le trône d'Espagne de 1700 à 1746, puis, après avoir été nommé ministre d'État en 1691, pour le duc Charles de Berry (1693). À en croire Saint-Simon, ni Philippe ni Charles ne durent donner plus de joie à leur précepteur que leur frère Louis! Pour un avis absolument contraire, mais il s'agit nulle doute de propagande officielle, on peut lire dans la Gazette d'Amsterdam du 27 décembre 1700, au sujet du jeune Philippe, duc d'Anjou, l'information suivante: «Ils [les seigneurs espagnols reçus en audience par le roi de 17 décembre 1700] sont tous charmés de ce Jeune Prince; el ils ne sont pas les seuls qui publient, que le Roi a donné à l'Espagne un Monarque le plus accompli qu'on pût désirer pour son âge; car tous ceux qui ont eu l'honneur de le fréquenter de près, assurent d'une commune voix, qu'il a toutes les qualités requises pour un Roi, et qu'il n'en a pas une mauvaise. M. le Duc de Beauvilliers son Gouverneur a souvent dit que jamais ce Prince ne lui a donné le moindre sujet de réprimande. Il est extraordinairement adroit à tous les exercices; il parle Latin comme Français, et il parlera bientôt bon Espagnol; il est naturellement charitable, doux et honnête à tout le monde, et avec ces qualités il ne peut manquer de gagner les coeurs ».

Paul de Beauvilliers n'avait pas été choisi au hasard par Fénelon: ce dernier, en tant qu'ami intime du duc et de la duchesse de Beauvilliers, avait été chargé de l'éducation de leurs huit filles, ayant composé, à cet effet, son célèbre Traité de l'éducation des filles. Cet ouvrage, que Fénelon n'avait pas destiné à être publié, le fut cependant, en 1687, sur l'insistance du duc de Beauvilliers.

Saint-Simon (tome IV, chap. XXIV), dont il était aussi l'ami, nous parle de Paul de Beauvilliers en ces termes: « Il était grand, fort maigre, le visage long et coloré, un fort grand nez aquilin, la bouche enfoncée, des yeux d'esprit et perçants, le sourire agréable, l'air fort doux, mais ordinairement fort sérieux et concentré. Il était vif, bouillant, emporté, aimant tous les plaisirs. Beaucoup d'esprit naturel, le sens extrêmement droit, une grande justesse, souvrent trop de précision; l'énonciation aisée, agréable, exacte, naturelle, l'appréhension vive, le discernement bon, une sagesse singulière, une prévoyance qui s'étendait vastement, mais sans s'égarer; une simplicité et une sagacité extrêmes et qui ne se nuisaient point l'une à l'autre. Doux, modeste, égal, poli avec distinction, assez prévenant, d'un accès facile et honnête jusqu'aux plus petites gens ».

Paul de Beauvilliers épousa l'une des filles de Colbert. En 1691, Paul de Beauvilliers fut nommé ministre d'État. Il mourut en 1714. Ses deux fils, dont les portraits ornent l'édition de 1733 de l'École de cavalerie de La Guérinière sont le comte de Saint-Aignan, fils aîné de Paul (en regard de la page 117, gravure de Jean Audran d'après un portrait de Charles Parrocel), et son fils cadet le marquis de Beauvilliers (en regard de la page 109, gravure de Nicolas Dupuis d'après un portrait de Charles Parrocel). Le duc de Saint-Aignan (lequel des deux fils?) s'installa, entre 1740 et 1748, dans un hôtel situé aux 3-5 Quai Voltaire actuel. L'un des deux, marquis de Saint-Aignan (Paul-Louis? voir ci-après), participera, entre autres, à l'expédition du maréchal de Richelieu contre Minorque en 1756.

Il est probable que La Guérinière choisit de faire représenter dans son École de cavalerie les deux fils de Paul de Beauvilliers pour une double raison: la réputation de leur père à la cour et en tant que petits-fils de Colbert. Sous réserve de vérification ultérieure, ces deux frères pourraient être Paul-François de Beauvilliers (1710-1742) et Paul-Louis de Beauvilliers (1711-1757).

MARQUIS DE LA FERTÉ-SÉNECTAIRE. Cet élève de La Guérinière, dont on voit le portrait en regard de la page 125 de l'édition de 1733 de l'École de cavalerie de La Guérinière, est probablement le petit-fils de Henri, marquis de la Ferté-Sénectaire (ou Saint-Nectaire, Sennecterre), né en 1599 au château de La Ferté, près d'Orléans, et mort en 1681. Henri de La Ferté Sénectaire soutint la royauté pendant les troubles de la Fronde, et fut maréchal de France.

Prince de Nassau-Sarrebruck

Marquis de Kraut